Yuli de Iciar Bollain
Yuli de Iciar Bollain

PAS DE MURS POUR LE CINÉMA !

Jamais, même dans ces dernières années où la politique culturelle fut des plus hasardeuses, le cinéma espagnol ne s’est laissé abattre et les réalisateurs ont su préserver leur outil si prisé dans les festivals et en France en 2018-2019, comme en témoignent de nombreuses sorties de films en salle depuis l’été : Campeones (Javier Fesser), Quién te cantará (Carlos Vermut), Carmen y Lola (Arantxa Echevarría), El silencio de otros (Almudena Carracedo et Robert Bahar), Un día más con vida (Raúl de la Fuente et Damian Nenow). En filmant la différence, la quête identitaire ou les questions mémorielles, chacun de ces réalisateurs nous dit combien les limites entre fiction et réalité et celles délimitant le « je » et le « nous » sont perméables voire microscopiques.

L’ensemble de ces films figure dans la sélection officielle hors compétition de cette édition.

INÉDITS, DRÔLES D’ENDROITS

Il faut parfois s’enfermer dans une salle de cinéma pour avoir des nouvelles du monde. Les films, inédits et en compétition pour cette 29e édition, ont extirpé les villes, les pays de leur simple statut d’arrière-plan générique pour en faire tour à tour un personnage, une humeur, un espace mental : Cuba, La Havane, au cœur de l’Histoire dans Yuli (Iciar Bollain), Berlin froid et désincarné dans Les distàncies (Elena Trapé), un Pays basque bucolique délaissé par Koldo Almandoz pour asseoir Oreina sur une lisière marécageuse à Oria (Guipuzcoa) et un road movie à travers ce que le réalisateur appelle les « non-lieux », loin de la capitale, pour Casi 40, de David Trueba. Avec Petra, Jaime Rosales revisite une tragédie grecque, dans une campagne catalane, L’Empordà, gorgée de soleil. Enfin, Isaki Lacuesta et Isa Campo signent Entre dos aguas, film entre passé et présent, entre deux existences parallèles, entre les deux rives du Guadalquivir, en Andalousie. Villes, pays, espaces, sont ainsi mis et remis en abyme. Intériorisés, mentalisés, esthétisés.

LA CAMÉRA AU RYTHME DU FLAMENCO

« Le cinéma est l’art du mouvement, écrivait Philippe Soupault, et c’est peut-être grâce à lui, grâce à son universalité que nous pouvons entrevoir la résurrection de la danse ». La danse n’a certes pas besoin du cinéma pour exister, mais en tant qu’art vivant et éphémère, elle trouve dans le cinéma le moyen de perdurer, au-delà de son exécution. C’est la complémentarité des quatre langages, danse, musique, chant et cinéma, que cette édition veut mettre en exergue à travers la projection de fictions et documentaires autour des figures mythiques de Antonio Gades, Paco de Lucía, Camarón, ou encore La Chana au sommet de leur art. Un concert de la chanteuse Marina Heredia et une exposition du photographe de flamenco et grand connaisseur de cet univers artistique, René Robert, complètent ce cycle.

JAVIER BARDEM, ACTEUR-PERSONNAGE

Heureusement il existe une alternative pour un acteur qui souhaite pouvoir évoluer en toute sérénité dans ce pays d’Oz qu’est le monde du cinéma : celle d’être déjà un personnage dans le monde réel, c’est-à-dire lui-même de la façon la plus particulière, la plus remarquable et la plus intense qui soit. L’acteur-personnage tient ses rôles en respect. Cabossé, plein de reliefs physiques aussi bien que psychiques, il est l’anti-toile vierge. Javier Bardem fait partie de cette catégorie. Il a grandi dans l’univers du théâtre : ses grands-parents, sa mère Pilar Bardem, tous comédiens (‘’cómicos’’, comme il aime le dire). Il est le neveu du réalisateur Juan Antonio Bardem (Muerte de un ciclista, 1955, Calle Mayor, 1956) membre, comme sa mère, du Parti communiste et opposant au franquisme. Il est aussi le frère de l’acteur Carlos Bardem.

« Javier ne fait pas des films, il y milite. Il incarne des personnages qui s’émancipent de leur seule dimension cinématographique pour devenir de troublants miroirs de nos vies », écrit à son propos le réalisateur Fernando León de Aranoa. Si le cinéma nous a appris quelque chose de la vie, et Bardem l’a rappelé lors de la Cérémonie des Oscars le 24 février 2019, c’est à quel point les murs et les frontières sont trompeurs et inconsistants. Nous ne sommes pas sûrs que le spectateur de cinéma, éternel nomade, se reconnaisse d’autre patrie que celle, multiple, de ses enthousiasmes cinéphiliques.

 

Pilar Martínez-Vasseur