Ane (2020)

BARCELONE FAIT SON CINÉMA À NANTES

 

Ils étaient 83 millions de spectateurs à avoir franchi les portes de quelques 2900 salles de cinéma en Espagne l’année dernière, soit une augmentation de 5 millions d’entrées par rapport à 1998.
Malgré une production nationale en progression (plus de 70 films produits l’an passé) et quelques embellies notées ici et là (Almodóvar, Bigas Luna, Trueba…), le cinéma espagnol, comme le cinéma européen en général, s’interroge sur son avenir et sa capacité à séduire d’autres publics que le sien.
Car pour un Almodóvar qui arrive à franchir les Pyrénées, combien de Mario Camus, de Juamma Bajo Ulloa ou de Alex de la Iglesia qui ne sont prophètes que dans leur pays ?

 

PLUS DE 40 FILMS, DONT 15 AVANT-PREMIÈRES

Au cours de ces 10 dernières années, les Rencontres du Cinéma Espagnol de Nantes ont voulu être une plate-forme pour les anciens et les nouveaux réalisateurs, ainsi qu’une occasion pour le spectateur français d’avoir un panorama plus complet de ce que l’on a pu voir et revoir en ces années 90 en Espagne. Si jusqu’à présent on n’a parlé en France que des films espagnols, le temps est venu désormais de parler du cinéma espagnol.
Plus de 40 films, dont 15 avant-premières pourront témoigner de la vitalité, de la richesse et de la diversité de la création cinématographique en Espagne à l’orée de son deuxième siècle. On y découvrira, parmi les jeunes réalisateurs, Fernando de Leôn de Aranoa (Barrio), Benito Zambrano (Solas, Prix du public au Festival de Berlin et plusieurs Goya), Iciar Bollain (Fleurs d’un autre monde, Prix de la Critique à Cannes et Salut, tu es toute seule?), Gracia Querejeta (Quand tu me reviendras), Juamma Bajo Ulloa (Airbag), Alex de la Iglesia (Perdita Durango), Marc Recha (L’arbre aux cerises).

 

HOMMAGE À BUNUEL, SAURA, ARTERO

Les 10e Rencontres du Cinéma Espagnol de Nantes rendent cette année un hommage particulier à Bunuel au moment du centenaire de sa naissance, avec 5 films (Los olvidados, Susana la perverse, Don Quintin l’Amer, Les Hauts de Hurlevent, La vie criminelle d’Archibald de la Cruz), à Saura, son disciple et héritier, à travers un parcours dans sa filmographie (La chasseCría cuervos, Antonieta, ¡Ay, Carmela ! et Goya), à Antonio Artero, cinéaste indépendant, agitateur et provocateur (Je crois que…, Monegros, Doña Rosita la soltera), à Joaquin Carbonell, chanteur. L’Aragon, terre sèche et aride, terre d’allégories et de désastres, devient ainsi, pour quelques jours, le centre de l’Espagne.
Du centre à la Méditerranée, voyage éclair vers le Manchester espagnol, le Paris du Sud, la rose de feu, la ville des bombes, la ville des prodiges…
Voici quelques-uns des noms qui furent donnés à Barcelone entre 1888 et 1929.

 

UN TUNNEL LONG, INTERMINABLE, ET, SOUDAIN, LE CIEL AU-DESSUS DE LA VILLE ILLUMINÉE…

Grande Guerre à Verdun, grande vie ici. On y vient pour peindre (Picasso), pour écrire (Mac Orlan, Genet, Bataille), pour s’enrichir, pour y mourir. Période d’agitation sociale, révoltes anarchistes, répression dont la littérature et le cinéma témoignent dans un rapport étroit avec l’histoire. Le cas Savolta, de Antonio Drove, d’après le roman d’Eduardo Mendoza, ou Buenaventura Durruti, anarchiste, de Jean-Louis Comolli, nous plongent dans le fond de ce réel trop méconnu pour y trouver du nouveau.
En 1936, le fond de l’air est rouge à Barcelone, sur les Ramblas, place de la Catalogne, dans les bars du Barrio Chino. On prononce des discours enflammés, on entonne l’internationale, on collectivise, on se bat jusqu’au bout. C’est la Barcelone d’Etienne Roda-Gil égrenée dans les pages de ses romans Mala Pata et Ibertao, celle-là même que nous décrivent des documentaires tournés par la CNT (Nous sommes comme ça, Notre coupable), ou aujourd’hui par Richard Prost (Un autre futur). Ces Barcelones, ces exils des hommes qui appartiennent à un pays qu’ils n’ont pas eu, arrivent aussi pour quelques jours à Nantes.

La guerre finie, il ne reste que le spectacle des ruines. Le sordide se substitue au pittoresque. Barcelone est tapie dans l’ombre, dans l’attente des jours meilleurs où l’on pourra parler sans trop de haine accumulée de l’immense fracture qui divise le pays à l’époque de la guerre civile et du franquisme au pouvoir : Le pianiste, film de Mario Gas, d’après le roman homonyme de Vázquez Montalbán, est cette chronique historico-politique, qui traverse l’Espagne, la Catalogne et Barcelone entre 1936 et 1986 dans une parfaite symbiose entre passé, présent et avenir.

En 1992, pour les Jeux Olympiques, Barcelone accomplit un autre es prodiges dont elle est familière à l’occasion de grands événements internationaux, comme les Expositions Universelles de 1888 et 1929. Elle se pomponne, se maquille, devient autre comme au cinéma, et l’écran semble se faire membrane sensible à tous ces changements. Un tunnel long, interminable, et, soudain, le ciel au-dessus de la ville illuminée… Almodóvar (Tout sur ma mère) revisite la ville, tout en revisitant son passé. Ville baroque et interlope où traditions et modernités se fondent en un seul plan.

Barcelone, enfin, lieu de passage, de rencontres, d’exclusions, un émerveillement intact : en quelques plans Barcelone se déploie dans le temps et l’espace, elle relie des solitudes (Ventura Pons, Amic/Amat, Dolors Payás, Mon nom est Sara), elle rejette les siens et l’autre (Saïd, de Llorenç Soler, film sur le déracinement et le racisme ordinaire). Nous sommes au cinéma, nous sommes hors du temps, hors de l’histoire, précisément parce que, soudain, nous nous trouvons au cœur de l’Histoire. C’est sans doute une exception…

Pilar Martínez-Vasseur