Regards sur 25 ans de cinéma espagnol à Nantes, «en terre étrangère»

 

En 25 ans le Festival aura accueilli 260 000 spectateurs, 700 invités, projeté 1 200 films et reçu 50 000 collégiens et lycéens.

C’est à Nantes, ville de cultures, de mémoires, de mutations sociales, de croisements identitaires que le Festival a vu le jour un printemps de 1990.

Habiter une ville, l’investir par un cinéma venu d’ailleurs, c’est y tisser, par ses allées et venues journalières un lacis de parcours articulés autour d’un canevas allant du Cinématographe (premier lieu du Festival) au Katorza, de Cosmopolis à l’Opéra Graslin puis, en 2015, traversant la Loire, vers Stereolux. Des lieux perméables à la fiction, à l’imagination, dans une « fourmillante cité, pleine de rêves » (Julien Gracq).

En théorie, on parcourt ce temps, ces distances rapidement ; en réalité c’est souvent pas à pas. Reste la part des fulgurances : en 2000 celle de la rencontre avec Etienne Roda-Gil, président du Jury Jules Verne, rencontres avec ses idées, les paroles aussi, celles qu’il avait écrites pour Julien Clerc et bien d’autres, celles qui faisaient de sa conversation un chant d’exil tressaillant de vie. Fulgurances encore que celle d’un matin du 11 mars 2004, au lendemain de l’ouverture du Festival, les attentats à Madrid (192 morts), firent de Nantes et d’un événement culturel un lieu de parole, d’échanges, de solidarité avec l’Espagne. Cinéastes et acteurs espagnols (Vicente Aranda, Juan Diego, David Trueba, Juan Diego Botto, Imanol Uribe, Enrique Urbizu) se donnèrent rendez-vous à Nantes pour défendre l’art face à la terreur. Le cinéma traversait l’écran, s’affichant dans les rues et places de la ville.

L’histoire du Festival s’est faite ainsi de mille instants, émotions irréductibles à un temps linéaire, rires iconoclastes; échanges par milliers avec le public.

Depuis 1990 la cinématographie espagnole a su tisser tous les fils temporels de son histoire. C’est ce qu’auront tenté des dizaines de réalisatrices et réalisateurs, actrices et acteurs présents sur nos écrans tout au long de ces 25 ans : Buñuel, Bardem, Berlanga, Borau, Saura, Erice, Gutiérrez Aragón, Bigas Luna, Almodóvar, Trueba, Armendáriz, Álex de la Iglesia, Ventura Pons, León de Aranoa, Amenábar, Guerín, Rebollo, Bollaín, Verdú, Paredes, Molina, Cámara, Goenaga, Javier Bardem…

Cure de jouvence dans le cinéma espagnol

Cette année 2014, où diverses crises continuent de frapper l’Espagne, aura été marquée par une production cinématographique flamboyante, inventive et d’une vitalité insolente. Une pléiade de fictions a connu le succès unanime de la critique, retrouvé le public espagnol (plus de 20 millions de spectateurs, alors que ce public est toujours réticent à sa propre cinématographie) et remporté de nombreuses récompenses, notamment : La isla mínima de A.Rodríguez, El Niño de D.Monzón, La niña de fuego (Magical Girl) de C.Vermut, Loreak de J.Garaño et JM.Goenaga, Carmina y amén de P.León, Huit noms basques de E.Martínez-Lázaro. Tous ces cinéastes explorent le maillage touffu d’un temps mythique pour certains, réel pour d’autres et qui tend toujours vers l’universel.

Errance et dérives urbaines

Le renouveau du cinéma espagnol passe également par une volonté de revoir des thèmes ancrés dans le quotidien, de refléter les mutations de la société. Ce sont des regards d’adolescents, des jeunes d’ici et d’aujourd’hui, évoqués dans A escondidas de M.Rueda ou encore dans La belle jeunesse de J.Rosales, des regards d’ailleurs, de ces milliers de jeunes espagnols contraints à l’exil pour des raisons de crise économique dans En tierra extraña de I.Bollaín et 10.000 km de C.Marques-Marcet. Leur quête identitaire est avant tout une errance et une dérive pour s’inventer un futur loin des murs de la cité, loin des frontières du pays.

Feux croisés sur la France ?

Si le franquisme avait fait de la haine envers la France son ciment identitaire, relayé par la propagande, l’école et le cinéma (Agustina de Aragón de Juan de Orduña), Luis Buñuel, Carlos Saura et plus tard Fernando Trueba opposeront à cette lecture de l’histoire, celle qui rend hommage à travers leur cinéma à la France des Lumières, des libertés et de la tolérance face à l’obscurantisme, le fanatisme et les censures. Cet obscur objet du désir, Goya en Burdeos, L’artiste et son modèle témoignent de leur attachement à ces valeurs.

Carlos Saura et Fernando Trueba ont marqué l’imaginaire des spectateurs depuis plusieurs générations ; deux cinéastes inclassables et passionnés de musique, dont le flamenco et le jazz qui sera à l’honneur de cette 25e édition avec un concert du pianiste Chano Domínguez et du guitariste flamenco Niño Josele, réunis par Fernando Trueba autour d’un album métissé.

La musique de ces maîtres ne se pose pas sur les images pour les mettre en mouvement et en accentuer la vibration. Ni pour en approfondir ou en exalter le sens. Non, elle se confond avec elles, comme cousue dans la même étoffe, avec une sorte d’humilité et d’émouvante confiance.

Pilar Martínez-Vasseur