La belle jeunesse

La ville : pouvoirs, marges et exils

Pas de quartiers pour la jeunesse !

Photographier Los Angeles. Saisir la ville et ses silences. Tel est le projet pour lequel Alex (Natalia Tena) doit tout quitter : sa ville, sa Barcelone, son Sergi (David Verdaguer). Entre eux désormais : 10 000 km. Un océan, des terres arides et une webcam. D’une ville à l’autre. Un amour à distance que filme dans l’intimité Carlos Marques-Marcet, récompensé par le Goya du Meilleur Premier film en 2015. Il concourt cette année pour le Prix Opera Prima.

Le départ contraint, l’exil forcé, voilà ce que vivent en effet des milliers de jeunes Espagnols depuis le début de la crise économique. Les villes qui les ont vus parfois naître, grandir, étudier, ces villes les recrachent, incapables de les absorber. Ne sachant pas leur donner le travail espéré ou la vie si bien vendue. Certains n’ont pas d’autres choix que de partir, franchissant par exemple la Manche pour rejoindre Édimbourg. Là où la communauté espagnole ne cesse e grandir. La réalisatrice Icíar Bollaín (Ne dis rien ; Même la pluie) est partie rencontrer ces ‘aventuriers’ contraints, pour savoir d’où ils viennent, comment ils se reconstruisent dans une autre ville, qui semble pour certains bien les accueillir en son sein. En tierra extraña évoque lui-aussi la solitude de celui ou de celle qui doit se refondre dans un nouveau territoire, une nouvelle langue, un nouvel habitat et parmi de nouveaux habitants. La ville devient terre d’adoption, bien loin de la ville natale.

Exils, pouvoirs…. et jeunesse. Une Belle jeunesse, ou du moins ce qu’ils espéraient sur les bancs de l’école. Le catalan Jaime Rosales va ici au plus près d’un couple éperdu mais perdu. Son dernier long-métrage est présenté cette année en section Panorama. Ici, deux jeunes sont comme écrasés sous le poids de la ville, perdus au milieu de ses barres d’immeubles construits à la hâte. Ils incarnent cette classe moyenne paupérisée, où la figure maternelle redevient le principal soutien, le refuge, le toit et l’épaule. La ville n’aurait-elle donc plus de place pour cette belle jeunesse ? La ville devient-elle celle qui marginalise ceux qui n’auraient jamais pensé l’être un jour ? C’est, en tous cas, cette ville
hostile et de la survie que le réalisateur de La Soledad saisit, filmant l’urgence et l’immédiat.

Cette belle jeunesse a parfois recours aux recoins des villes pour vivre en cachette (A escondidas). Les ruelles, les toits des immeubles ou les chantiers abandonnés deviennent alors des terrains de jeux, des lieux de pouvoirs. Le pouvoir d’être loin des regards moqueurs, loin d’autres pouvoirs. Adolescence, homosexualité, immigration… voilà donc les marges qui se confrontent dans le premier long-métrage de Mikel Rueda, en compétition pour le Prix Opera Prima. La ville grise est spectatrice d’une rencontre qui va bouleverser la vie d’un jeune de 14 ans, rappelant celle que vit Pablo, surnommé El Bola, de deux ans son cadet dans le long-métrage d’Achero Mañas sorti en 2000. La ville est ici cet espace de liberté que cherche le jeune garçon pour fuir la violence domestique qui secoue sa maison. Ses déambulations dans le quartier avec un nouveau camarade de classe lui révèlent qu’un autre monde est possible, au-delà du machisme dont est victime sa mère. L’exil est ici davantage intérieur. La violence est la marge contre laquelle il faut lutter. Le cinéma est là pour mettre des mots et des images sur une réalité à laquelle l’Espagne a su apporter des réponses depuis le début des années 2000.

Les réalisations de cette dernière année collent elles aussi à leur époque. Celle des villes uniformisées, boulimiques, des villes qui embrassent parfois, qui rejettent souvent, qui accumulent les solitudes. Le cinéma espagnol brise alors un carreau pour mieux filmer leurs quotidiens.

 


LES RENDEZ-VOUS À NE PAS MANQUER

  • Journée thématique – Conférences, débats : lundi 23 mars de 9h30 à 17h à Cosmopolis
    Plus d’infos sur www.crini.univ-nantes.fr/
  • Cosmo-rencontre avec Mikel Rueda, réalisateur de A escondidas : mardi 24 mars à 20h30 à Cosmopolis