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Des mirages en images

 

Le cinéma est l’invention d’un regard. Il était, et il l’est en grande partie, le mystère de la projection, quand la lumière jaillit du fond de la salle, enfante des images « plus grandes que soi », dans le noir. Il est la découverte du monde et d’un rapport au monde.

Il est aussi l’invention d’un public, de ce public de Nantes et d’ailleurs, face au miracle de la fusion entre enregistrement et fiction. « Dans une salle de spectacle, l’art sort des spectateurs », disait Henri Langlois et le répètent, à dessein, les nombreux réalisateurs espagnols qui visitent Nantes depuis vingt ans : Montxo Armendáriz, Fernando Trueba, Enrique Urbizu, Ángeles González-Sinde, Imanol Uribe, Carlos Saura, Patricia Ferreira, Paco León, Álex de la Iglesia, David Trueba…

Rêves, lapsus, combats et utopies

Présenter l’essentiel de la 24e édition du Festival de cinéma espagnol de Nantes, c’est accompagner ce qu’il y a de plus singulier dans la cinématographie espagnole en 2013-2014, mettre en valeur la confluence de nouvelles formes d’expression, de nouvelles techniques, de nouveaux langages qui émergent au sein d’un nouveau collectif de cinéastes partageant expériences, questionnements et projets. Ce qui nous attire chez eux : le goût de la narration, le travail autour d’un imaginaire du présent, avec ses scories et ses proliférations, où l’imaginaire joue un aussi grand rôle que les faits vrais d’un passé disparu. Manuel Martín Cuenca (Cannibale), Fernando Franco (La blessure), Juan Cavestany (Des gens normaux), Mar Coll (Nous voulons tous le meilleur pour elle) ou encore Neus Ballús (Le fléau) et Daniel Castro (Illusion), chacun de ces réalisateurs s’inscrit dans la vitalité cinématographique retrouvée de l’Espagne qui se joue d’une crise pourtant plus prégnante que jamais en matière de politique culturelle.

Tout aussi singulier le cycle « Filmer au féminin / Le féminin filmé » propose de découvrir ou de redécouvrir le travail des cinéastes espagnoles, Icíar Bollaín, Isabel Coixet, Judith Colell, Mireia Gabilondo, Chus Gutiérrez, Isabel de Ocampo, Inés París, Pilar Pérez Solano, Gracia Querejeta, Helena Taberna… Des images, des scénarios portés par des femmes, et des hommes aussi, devant et derrière la caméra, pour nous rendre, ici et maintenant, l’indicible, l’insoutenable des résistances, des révoltes et des combats que l’on croyait révolus depuis des décennies.

Les riches heures d’un cinéma… d’acteurs

Ce sont les héros anonymes, les sans-grade, les laissés pour-compte, des figures sans apprêt, qui ne réclament ni visibilité ni honneurs, ce sont eux, ces inconnus que les actrices/acteurs espagnols sortent de l’ombre, des limbes de la mémoire collective pour les porter à l’écran. Javier Cámara, Lola Dueñas, Luis Tosar, Javier Bardem, Maribel Verdú, Antonio de la Torre, Hugo Silva, Carmen Maura, Nora Novas, Miguel Angel Silvestre, Candela Peña, Terele Pávez, Alex González, María Botto… Autant de personnages incarnés, extraits des ténèbres, qui seraient restés muets si, par accident ou par miracle, un récit, réel ou fictif, ne les avait pas fait parler et ne nous les avait fait entendre. Autant de vies discrètes, de particules légères. Autant d’existences tissant l’Histoire sans que l’Histoire ne se soucie de les citer. Autant de destins scellés dans les replis du temps.

Si d’aventure vous les croisez dans les rues de Nantes, ne soyez pas surpris : vous les portiez en vous. Mais sans eux, sans leur interprétation, leur engagement, leur voix, leur regard, vous n’auriez jamais su être accompagnés d’histoires, qui sont autant de regards vers de possibles chemins, des lignes d’horizon qui pétrissent, loin par-delà le quotidien, cette pâte qui fait que nos rêves nous font, certains jours, dans les salles obscures, renaître à nous-mêmes. Non, pas nous oublier mais nous réinventer.

 

Pilar Martínez-Vasseur